Face à l’exploitation croissante des océans, la sauvegarde des écosystèmes sous-marins dans les zones économiques exclusives (ZEE) devient un enjeu crucial. Quels sont les outils juridiques à disposition des États pour protéger ces espaces marins vitaux ?
Le cadre juridique international de la protection des ZEE
La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982 constitue le socle du régime juridique applicable aux zones économiques exclusives. Elle reconnaît aux États côtiers des droits souverains sur les ressources naturelles dans une zone s’étendant jusqu’à 200 milles marins de leurs côtes. Toutefois, ces droits s’accompagnent d’obligations en matière de protection de l’environnement marin.
L’article 56 de la CNUDM stipule que les États ont juridiction en ce qui concerne « la protection et la préservation du milieu marin » dans leur ZEE. L’article 192 leur impose une obligation générale de « protéger et préserver le milieu marin ». Ces dispositions offrent une base juridique pour l’adoption de mesures de conservation des écosystèmes sous-marins.
D’autres instruments internationaux viennent compléter ce cadre, comme la Convention sur la diversité biologique de 1992, qui encourage la création d’aires marines protégées, y compris dans les ZEE. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a adopté en 1995 le Programme d’action mondial pour la protection du milieu marin contre la pollution due aux activités terrestres, qui concerne aussi les ZEE.
Les outils juridiques à disposition des États
Pour mettre en œuvre leurs obligations internationales, les États disposent de plusieurs leviers juridiques. La création d’aires marines protégées (AMP) dans les ZEE est l’un des principaux outils. Ces zones permettent de réglementer ou d’interdire certaines activités (pêche, extraction minière, etc.) afin de préserver les écosystèmes fragiles.
La France a ainsi créé en 2021 la réserve naturelle nationale de l’archipel des Glorieuses dans sa ZEE de l’océan Indien, couvrant plus de 43 000 km². L’Australie a établi un vaste réseau d’AMP dans sa ZEE, dont la Grande barrière de corail.
Les États peuvent aussi adopter des réglementations sectorielles pour encadrer les activités potentiellement dommageables pour les écosystèmes sous-marins. Cela peut concerner la pêche (quotas, techniques de pêche autorisées), l’exploitation pétrolière et gazière offshore (études d’impact environnemental obligatoires), ou encore le transport maritime (zones de navigation restreinte).
La mise en place de systèmes de surveillance et de contrôle est essentielle pour assurer le respect de ces réglementations. Cela peut inclure des patrouilles en mer, l’utilisation de technologies satellitaires ou de drones sous-marins.
Les défis de la mise en œuvre effective
Malgré l’existence d’un cadre juridique, la protection effective des écosystèmes sous-marins dans les ZEE se heurte à plusieurs obstacles. Le premier est celui de la capacité de contrôle des États, en particulier pour les pays en développement disposant de vastes ZEE. Le coût des moyens de surveillance et la difficulté à détecter certaines infractions en mer limitent l’efficacité des mesures adoptées.
La question de la coordination internationale est cruciale, notamment pour les écosystèmes transfrontaliers ou les espèces migratrices. Des mécanismes de coopération régionale, comme les Conventions des mers régionales du PNUE, visent à harmoniser les approches entre États voisins. Toutefois, leur mise en œuvre reste souvent insuffisante.
L’articulation entre protection de l’environnement et exploitation économique constitue un autre défi majeur. Les États sont souvent tiraillés entre la volonté de préserver leurs écosystèmes marins et celle de tirer profit des ressources de leur ZEE (pêche, hydrocarbures, énergies marines renouvelables). Trouver un équilibre juridique entre ces impératifs est complexe.
Enfin, l’évolution rapide des connaissances scientifiques sur les écosystèmes marins et l’émergence de nouvelles menaces (pollution plastique, acidification des océans) nécessitent une adaptation constante du cadre juridique. Les procédures d’amendement des conventions internationales étant souvent lentes, il existe un risque de décalage entre les enjeux écologiques et les outils juridiques disponibles.
Vers un renforcement du cadre juridique ?
Face à ces défis, plusieurs pistes sont explorées pour renforcer la protection juridique des écosystèmes sous-marins dans les ZEE. Au niveau international, les négociations en cours sur un traité sur la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales (BBNJ) pourraient avoir des répercussions sur la gestion des ZEE, notamment en matière de connectivité écologique.
Certains experts plaident pour l’adoption d’un protocole additionnel à la CNUDM spécifiquement dédié à la protection de la biodiversité marine dans les ZEE. Cela permettrait de préciser les obligations des États et de renforcer les mécanismes de coopération.
Au niveau national, de nombreux pays renforcent progressivement leur législation. La France a ainsi adopté en 2016 la loi pour la reconquête de la biodiversité, qui étend les possibilités de création d’aires marines protégées dans sa ZEE. Le Mexique a mis en place en 2020 un système de quotas individuels transférables pour mieux gérer ses pêcheries dans sa ZEE du Pacifique.
L’utilisation accrue des nouvelles technologies offre des perspectives intéressantes pour améliorer la surveillance et la protection des écosystèmes sous-marins. L’intelligence artificielle, couplée à l’imagerie satellitaire, permet par exemple de détecter plus efficacement les activités de pêche illégale dans les ZEE.
La sensibilisation du public et l’implication des communautés locales dans la gestion des ZEE sont de plus en plus reconnues comme des éléments clés pour une protection efficace. Certains pays, comme les Palaos, ont ainsi mis en place des systèmes de cogestion associant autorités publiques et communautés de pêcheurs pour la protection de leur ZEE.
La protection juridique des écosystèmes sous-marins dans les zones économiques exclusives constitue un enjeu majeur pour la préservation de la biodiversité marine mondiale. Si le cadre juridique international fournit une base solide, sa mise en œuvre effective reste un défi. Le renforcement des capacités de contrôle, l’amélioration de la coopération internationale et l’adaptation constante des outils juridiques aux nouvelles menaces seront essentiels pour relever ce défi dans les années à venir.